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LE PREMIER PAS SUR LE CHEMIN, C’EST ... ACCUEILLIR

Témoignage de Pierre Jaquier

Pierre Jaquier, vous êtes luthier dans un village du Vaucluse où vous fabriquez des instruments à archet, en particulier des violes de gambe, dont vous êtes un spécialiste mondial.
Vous avez notamment réalisé les instruments pour "Tous les matins du monde", le film d’Alain Corneau, avec Jean-Pierre Marielle et Gérard Depardieu, consacré à deux fameux joueurs de viole du XVIIème siècle, Sainte-Colombe et Marin Marais.

Vous êtes atteint de Sclérose Latérale Amyotrophique ; pouvez-vous nous dire comment la maladie a commencé ?

P.J. : En février 2009, je travaille normalement à mes activités de luthier. J’ai juste l’impression de m’essouffler assez rapidement, et une difficulté de la main droite à réaliser avec justesse des gestes précis, ce qui a été pris pour de la fatigue musculaire. On a attribué ces troubles à une compression médullaire au niveau des vertèbres cervicales, et j’ai été opéré. Mais un mois après, comme il n’y avait aucune amélioration, on a fait faire d’autres examens. Le diagnostic a été posé dans le service du Professeur Pouget à l’hôpital de la Timone de Marseille le 24 avril 2009. Puis les choses sont allées très vite. J’avais pu encore diriger le concert de Pâques de ma chorale début avril 2009. Pour celui du 21 juin, je ne pouvais plus marcher. Comme les gestes que je faisais manquaient d’amplitude pour le chœur, une musicienne a dirigé avec son archet. Fin juillet-début août, je ne pouvais plus me tenir debout. Il a fallu mettre en place la présence d’infirmiers matin et soir.

À partir de là, que s’est-il passé dans votre vie professionnelle et quotidienne ?


P.J. : Progressivement, je n’ai plus pu remplir mes obligations professionnelles. Je ne pouvais plus honorer les commandes qui couvraient environ quatre années de travail, soit plus d’une vingtaine d’instruments à finir ou en commande. J’ai essayé de trouver des solutions. Puis je me suis dit : laissons les choses venir. C’est ce qui s’est passé. Je pense maintenant qu’il ne faut pas chercher de solutions, elles viennent, on se crispe inutilement. Cela freine le déroulement normal des choses, qui souvent s’arrangent d’elles-mêmes. C’est ce que j’appelle les petits miracles quotidiens. Ainsi, il y a quelqu’un qui a repris le travail dans mon atelier. Je continue à transmettre mon métier à une très bonne luthière, qui ne connaissait pas les particularités de la facture baroque mais que cela passionne. Voilà pour la vie professionnelle. Quant à la vie courante, il n’y a pas trop de problème. Mes trois enfants sont arrivés à l’âge adulte, la dernière, en formation professionnelle, a 18 ans. Ma femme, qui est à la retraite, est disponible, active, remarquablement efficace. Nous sommes très entourés d’affection, d’amitié, et l’équipe des soignants (médecin, infirmiers, kinésithérapeute, garde de nuit...) est remarquable tant sur le plan professionnel qu'humain. De ce côté-là, rien n’est vraiment insurmontable dans la vie quotidienne. C’est du reste une bénédiction d’être dans un village où le tissu social est très dense.

Quelles difficultés concrètes se sont présentées dans la maison ? Notamment les difficultés à circuler et leur évolution.

P.J. : C’est simple. Je restreins mon univers de plus en plus. D’autant qu’il n’est pas sûr que les solutions qu’on vous propose à un moment donné, souvent compliquées et coûteuses, conviennent, car la maladie avance et il est souvent trop tard pour en bénéficier. Ainsi on m’a proposé un fauteuil électrique qui se manœuvrait avec le menton, pour avoir un minimum d’autonomie. Cela me plaisait au départ, mais quand il a été prêt à être livré trois mois après, car les choses ont traîné, je n’en sentais plus le besoin compte tenu de l’aggravation de la maladie. Ce qui devient au contraire vite indispensable est de simplifier la vie de l’entourage. Pour cela nous avons fait des travaux dans la maison. Je ne voulais pas que les gestes et les déplacements soient trop pénibles pour les uns et les autres. Les travaux dont j’ai vraiment besoin concernent le bien-être de ceux dont je dépends et le mien. Mon confort dépend du leur. C’est important d’en avoir conscience.

Est-il difficile parfois d’expliquer qu’on n’a pas vraiment besoin de ce qu’on vous propose ?

P.J. : Les désirs exprimés par l’entourage ne sont pas nécessairement les besoins pour soi-même. Par exemple, bien que ma vie se passe désormais à l’intérieur, je ne ressens aucun besoin d’aller dehors (nous habitons une vieille maison de village avec des étages, un escalier étroit ...). Que ferais-je dehors, fatigué du transfert, avec mon appareil respiratoire, devant répondre à des questions ?

Y a –t-il eu une période où vous souffriez d’être limité physiquement ?

P.J. : Oui, par exemple quand j’ai cessé de pouvoir faire des gestes ordinaires, banals. Mais une des choses les plus dures pour moi a été de ne plus pouvoir écrire, ce que j’aime beaucoup, en tenant en main mon stylo plume auquel j’étais très attaché. C’est dans des gestes très quotidiens que resurgit le manque, des gestes auxquels on ne pensait pas avant. Par exemple, sortir mon bon gros chien. Mais, lui, il a eu la bonne idée de mourir au début de ma maladie. Sans cela, oui, j’en aurais peut-être souffert. Mais sortir pour de grandes promenades, des excursions, non, ce n’est plus un besoin : j’ai accepté. Je n’ai pas besoin d’être distrait.

Vous n’aimez pas qu’on cherche à vous distraire ?

P.J. : Cela dépend de ce dont il s’agit. On m’a apporté beaucoup de textes enregistrés, des vidéos pour me distraire, ce qui ne m’intéresse pas nécessairement. Au contraire, une visite, une conversation, l’amitié m’apportent beaucoup. Ce que permet cette maladie, c’est d’être dans sa vérité. Ceux qui viennent me voir, en général, le sont aussi et c’est même extraordinaire. Je n’ai surtout pas besoin d’être dans le divertissement au sens où Pascal l’entendait : être tiré à l’écart de l’essentiel. Rester dans l’essentiel, à vrai dire, je n’en ai pas le choix : la maladie en est une excellente opportunité. Mon infirmier m’a dit dès le début : « vous avez dorénavant un travail à temps plein à faire sur vous-même, veillez à ne pas vous laisser distraire ».

Vous préférez rester en vous-même ?

P.J. : Vivre avec une telle maladie, c’est comme être enfermé dans un sous-marin : on est relié par un tuyau à la surface pour respirer. Si je remonte à la surface, je trouve l’agitation, les soucis ; mais il est possible d’aller le plus profond possible pour trouver le calme. Il suffit que je tourne la manivelle de mon petit sous-marin. (rires, allusion au poème de Prévert : « en sortant de l’école »). Comme je ne peux me déplacer horizontalement, il me reste à rechercher au fond de moi-même ma vérité, en descendant dans mon espace intérieur, espace qui est beaucoup plus grand qu’on ne l’imagine. Les forces pour vivre avec cette maladie, on ne les a qu’en soi, au fond de soi, et il faut y descendre. J’insiste beaucoup là-dessus : l’entourage, les proches et les soignants, ont un rôle capital, mais même si cet entourage est aimant et aidant, comme il l’est au plus haut point, ce n’est qu’en nous-mêmes que nous trouvons les forces pour vivre les grandes épreuves. Si l’entourage est conscient de cet aspect-là de la maladie, il y aura un enrichissement des deux côtés.

Cela aide-t-il de repenser au passé ?

P.J. : Tout dépend comme on l’entend. Je n’ai pas de regret d’avoir dû arrêter mon activité manuelle dans le cadre de mon travail de lutherie. J’éprouve en revanche un grand bonheur à avoir fait ce travail. En général, on oublie qu’on est en bonne santé, on oublie ce que l’on fait ou que l’on a fait, alors qu’il faudrait en éprouver de la reconnaissance, de la gratitude. C’est peut-être le filtre de la maladie qui me donne cette impression. Mais il m’apparaît que tout événement a sa charge de bonheur, de richesse, de plénitude et qu’il faut apprendre à le voir. Le fait d’avoir eu une vie riche permet-il de mieux vivre la maladie avec ses contraintes physiques ? Une vie culturellement riche n’implique pas qu’on aborde ce nouveau cheminement avec plus de facilité. Profiter d’une vie riche, ce serait regarder en arrière. Or, je ne vis pas sur mes réserves, sur les rentes d’une culture (rires). C’est le présent qui est riche. Je n’ai jamais autant vécu l’instant présent. Tout le monde peut le faire pour peu qu’il éveille ses sens, qu’il laisse libre son imagination, sa créativité. Par exemple, avec cette maladie, on peut garder la sensation et ressentir encore en soi celles qu’on aime : texture du bois pour moi en lutherie, de tissus ou d’autres encore. Le sens du toucher est un sens du présent. Ainsi tout peut devenir dans le présent un centre d’intérêt. On se fait de la vie une idée très restreinte, on s’imagine qu’il faut deux jambes, deux bras, que la motricité ne dépend que de ces seuls instruments. Mais non, l’espace de vie est beaucoup plus vaste.

Vous avez une grande passion pour la poésie. Vous vous en récitez beaucoup. Là encore, est- ce une aide ?

P.J. : La poésie a joué un grand rôle dans ma vie. Mais mon intérêt a changé. Les poètes qui me plaisent aujourd’hui sont ceux dont chaque mot veut dire quelque chose, et quelque chose que je peux faire mien. Par exemple, ce poème où Supervielle écrit : « saisir quand tout me quitte / et avec quelles mains ?… ». Je me dis, mais cela a été écrit pour moi ! Ou, dans mes nuits blanches (j’ai passé les premiers mois de la maladie sans fermer l’œil) : « Viens sommeil, aide-moi / Tu saisiras pour moi / ce que je n’ai pu prendre / sommeil aux mains plus grandes ». La poésie, je la vis cette fois au présent. Si je me replonge dans ces richesses, ou en découvre d’autres - ma mémoire s’est beaucoup développée depuis que je ne peux plus lire - c’est pour en faire une autre lecture, sinon, ce n’est plus la peine, ce n’est pas véritablement de la poésie. On n’est pas dans le décoratif.

Finalement, quel que soit son bagage, on peut peut-être vivre le présent le mieux possible - mais à quelle condition ?

P.J. : J’ai quelquefois envie de dire aux gens : ne me distrayez pas. J’ai du travail à faire (long silence) Ce qui ne m’aide pas du tout, c’est l’idée de guérison. Cela m’importune même, tous les faux espoirs de guérisons, comme quand on vient me dire qu’on a trouvé quelque chose qu’il faut que j’essaye absolument - et l’on m’en a fait essayer de toutes sortes ! - ou si on veut m’envoyer chez un marabout, ou faire un pèlerinage à Lourdes, etc… Si guérison il devait y avoir, cela ne passerait pas par ces moyens. D’ailleurs, de quelle guérison parle-t-on puisque je ne me sens pas malade au sens propre. Certes, je suis une personne atteinte de SLA, c'est-à-dire que mes motoneurones sont touchés, avec les conséquences qu’on connaît sur la motricité et surtout sur les muscles respiratoires. Mais pour le reste, non, je n’ai rien perdu de mes fonctions cérébrales, de mes capacités de ressentir et de m’exprimer. C’est pourquoi il n’y a pas de raison de m’accabler de « conseils », ou d’essayer de prendre une sorte de pouvoir sur moi sous prétexte que je suis « dépendant ». La dépendance physique, corporelle, est certes une limitation, mais le reste de l’être est intact.

Il y a beaucoup de gens qui viennent vous voir, et il y a beaucoup de projets aussi, en particulier de concerts. Est-ce important pour vous ?

P.J. : Je n’ai pas de projets. Jusqu’à présent, je me suis plutôt laissé faire ; le chœur, que je dirigeais, par exemple, ne veut pas abandonner. Ainsi chaque année nous donnions un concert à l’Hermitage, une chapelle sur la colline au-dessus de Cucuron. Cette fois-ci, je pensais que je ne pourrais pas y aller. Mais on l’a fait. Les projets se font malgré moi. D’ailleurs le mot projet ne convient pas. C’est la continuité du présent, qui se poursuit ainsi. Pour ce qui est des visites, j’aime l’amitié ou plus exactement je suis amoureux de l’amitié. Cela m’apporte beaucoup. C’est pourquoi mon seul désir est de rester dans la communication. On en a parlé à l’hôpital de La Timone, à propos de la trachéotomie. Une trachéotomie, sachant qu’il n’y a pas de rééducation possible de la voix, ce qui signifie en clair plus d’échange verbal, ça ne m’intéresse pas... Cela dit, je ne sais pas comment je réagirai le moment venu, car instinctivement on s’accroche à la vie. Lorsqu’on a évoqué ce choix, le médecin m’a dit : « cela dépend de votre projet de vie », ce qui m’a fait rire. Je lui ai répondu : il n’y a qu’un seul projet de vie possible dans cette maladie, c’est de vivre dans la plénitude du présent.

Ceux qui vous entourent veulent continuer à partager avec vous, et ne veulent pas que cela s’arrête ?

P.J. : D’eux, je reçois plus que je ne donne. Il y a une surabondance de ce que je reçois, de tous les côtés, c’est incroyable. Cela s’est produit sans doute toute la vie, mais je n’ai pas su le voir. Je ne m’en suis pas rendu compte. Quelquefois cela n’a pas besoin de mots. Des amitiés se sont ainsi créées avant qu’on ait parlé. La maladie m’a permis un enchaînement de rencontres et d’amitiés. Cela fait partie des miracles quotidiens.

Si on parlait de chemin ? Vous avez utilisé le mot « accueillir » : est-ce cela cheminer ?

P.J. : Le premier pas sur le chemin, c’est passer de subir à accueillir. Si l’on réfléchit à tout ce que l’on subit dans une vie normale, à tout ce que l’on doit accepter, le rôle à jouer etc., c’est presque plus facile d’accepter une maladie. Là, je suis en paix. Les choses ne sont pas simples entre subir, accepter et accueillir un nouvel état. Dès le début, par exemple, j’avais décidé de prendre les choses avec sérénité. Mais c’était volontariste. En fait, je ne voulais pas être un fardeau pour mon entourage. Ensuite il y a eu l’accueil de la maladie, l’idée d’en faire une compagne de vie. Et ce chemin-là, c’est un véritable pèlerinage. Il va jusqu’à la mort, et ce n’est pas triste, pas décourageant, ni macabre. Bien sûr, ce n’est pas toujours facile, qu’on ait ou non la foi, qu’on cultive ou pas, comme je le fais avec obstination, « la petite sœur espérance ». Il faut en quelque sorte faire ses valises. Mais jusqu’au bout, c’est la vie, c’est toujours la vie.

Vous évoquiez tout à l’heure l’expression de « lâcher prise ». En quoi diffère-t-elle de « la résignation » ou de « l’acceptation » ?

P.J. : Au cours de cette maladie, j’ai découvert des richesses insoupçonnées. Pour cela, il faut « lâcher ». C’est plus difficile qu’accepter. Au début on peut ressentir de la résignation, parce qu’on ne peut pas faire autrement. On peut aussi accepter, à la manière des Stoïciens. Mais lâcher prise, c’est beaucoup plus fort. Ce n’est pas du tout ce à quoi on pense spontanément. Pour beaucoup, c’est « laisser tomber », au sens littéral. Mon infirmier m’a dit un jour : tenez en pensée quelque chose dans votre main et « lâchez prise » : vous allez ouvrir la main et l’objet tombera ; spontanément vous avez tourné votre main vers le bas. Maintenant retournez-la et lâchez prise : vos doigts s’ouvrent, rien ne tombe, au contraire vous recevez. Cela implique beaucoup de confiance dans les autres et en soi-même. Lâcher prise, ce n’est rien d’autre qu’ouvrir les mains, ouvrir son cœur, lâcher prise, c’est s’ouvrir.

Avez-vous autre chose à nous dire ?

P.J. : Difficile… Je me demande si, au fond, je ne me suis pas senti soulagé de rencontrer une grande épreuve. Une épreuve avec laquelle on va se mesurer, qui va vous obliger à ouvrir toutes les forces cachées qu’une existence plutôt protégée n’a pas permis de révéler. Etre comme un soldat sur le front, au feu, qui doit vaincre d’abord ses propres peurs, ou comme un explorateur qui s’aventure dans des terres inconnues. Une telle maladie, c’est l’épreuve de soi. Rien n’est gagné d’avance, c’est dangereux, il faut tout de même y aller. En fait la maladie devient accessoire quand il s’agit de se confronter à des questions de fond, qui demandent courage, énergie et confiance. Ceux qui viennent vous voir alors, c’est peut-être obscurément de cela dont ils ont besoin de parler et d’entendre parler.


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